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14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 22:30

source: el watan

 

Antonio Cubillo. Leader du Mouvement pour l’indépendance des Iles Canaries
"Un espion espagnol a été échangé contre l’assassin de Khider"
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le 14.09.12 |

Les Algériens se souviennent sûrement de lui. La voz de Canarias Libre (La voix des Canaries Libres, l’émission radio qu’il diffusait à partir d’Alger) a aujourd’hui 82 ans et milite toujours. El Watan Week-end a rencontré Antonio Cubillo, fondateur du Mouvement pour l’autodétermination et l’indépendance de l’archipel canarien. Retour dans l’Alger des années 70…

- Aujourd’hui, vous luttez pour faire reconnaître la population autochtone des Iles Canaries, les Guanches, d’origine berbère.

C’est une évidence. Comme l’a soutenu Mouloud Mammeri, le rôle traditionnel de l'amusnaw (la présence de poètes et de chanteurs de rues, dépositaires du savoir de tout un peuple tamusni) existe aussi aux Canaries. Avec ces poèmes et ces chants populaires, nous avons conservé pour les générations nouvelles, le souvenir de notre peuple guanche et ses luttes de résistance. Nous avons découvert de nombreux mots berbères dans le langage guanche et des chercheurs algériens qui ont séjourné aux Canaries ont constaté que beaucoup de mots berbères disparus du kabyle se retrouvent dans la langue guanche, comme par exemple efeken(temple), awañak (nation ou république) ou usan sufen (bonjour). C’est l’histoire qui dit que nous sommes des descendants des berbères, ce n’est pas une invention.

 

- Racontez-nous comment vous êtes arrivé en Algérie…

En 1962, j’ai dû quitter les Iles Canaries. J’y exerçais la fonction d’avocat, plus précisément défenseur des travailleurs depuis 1956. Nous avions créé alors un mouvement autonomiste, le MAC (Mouvement Autonomiste Canarien) exigeant la liberté des Iles Canaries. En 1962, je fus emprisonné à deux reprises pour mes convictions politiques et je me trouvais sous l’autorité de deux conseils de guerre. J’ai dû mon salut grâce à mon évasion vers la France en transitant par le Maroc. J’ai contacté des républicains espagnols qui me connaissaient. Ils purent me procurer une invitation pour le Conseil Mondial de la Paix qui s’est tenu à Moscou le 5 juillet 1962. Je me rappelle que le Congrès a été interrompu et le président Kroutchev est monté à la tribune, accompagné de quatre personnes, annonçant qu’il allait nous donner une information de très grande importance. Il nous a annoncé l’indépendance de l’Algérie ! Comme un seul homme, les 4000 congressistes se sont levés et ont applaudi pendant douze minutes ! Après, durant tout le congrès, je pris attache avec des Algériens qui m’assurèrent que l’Algérie allait appuyer tous les pays en lutte pour leur libération. C’est ainsi, que j’ai pris la décision d’aller à Alger.

 

- Vous étiez donc le bienvenu…

J’avais connu à Paris un journaliste italien, nommé Attilio Gaudio, qui avait fait partie des réseaux de soutien au FLN et qui est devenu par la suite le correspondant officiel de l’agence de presse italienne Ansa. Quand Ben Bella a été proclamé président, il l’a interviewé et est devenu l’une de ses relations personnelles. A ce titre, il m’a demandé de lui adresser une lettre demandant un asile politique. La réponse a été positive et j’ai eu une entrevue officielle avec le secrétaire du FLN, Hadj Ben Alla à qui j’ai fourni les explications sur la lutte de libération des Canaries. Le 1er octobre 1963 je me suis installé à Alger.

 

- Vous avez été aussi enseignant à l’université d’Alger…

Le jour suivant mon arrivée à Alger, je me suis rendu à l’université, précisément à la section espagnole de la faculté des lettres que dirigeait M. Marcilly. Je lui ai dit que je voulais travailler et je lui ai présenté mes documents. Il m’a demandé si j’étais antifasciste et si j’avais lutté contre Franco. Et puis il me proposa de commencer à enseigner le lendemain. Ce fut très émouvant pour moi… C’est là où j’ai rencontré Mouloud Mammeri avec qui j’ai fraternisé. Je suivais ses cours d’ethnographie de l’Afrique du Nord !

 

- Dans un de vos écrits, vous faites l’éloge de Mouloud Mammeri.

Oui et je suis fier d’être son disciple. Dans mon récit, Mouloud Mammeri et l’indépendance canarienne, je voulais parler de l'influence de cet érudit sur un jeune du mouvement de libération, le MPAIAC. Sur le plan personnel, cette rencontre a eu une grande influence sur ma propre formation africaniste. Cela m’avait permis de créer de nouvelles bases solides afin de transformer notre mouvement autonomiste. Ceci sur un plan politique. Aussi, Mammeri m’a sensibilisé sur notre identité, sachant que les Guanches, les autochtones des Canaries, venaient du continent africain. Dans ce contexte, je rejoins Mammeri et je dis que l'acculturation qui nous a été imposée par l'Espagne durant cette période était un facteur négatif ayant eu de profondes influences. Il me fit visiter la Kabylie, et en même temps connaître nos origines ancestrales. Je me souviens une de ses remarques : «Vous êtes des Berbères, même si maintenant, vous ne parlez pas la langue».

 

- Alger vous a offert une grande facilité pour créer le MPAIAC.

Effectivement, j’ai connu plusieurs ambassadeurs africains à Alger et spécialement celui de Guinée Conakry, qui m’a obtenu une invitation pour assister à la conférence des pays non-alignés d’octobre 1964 au Caire. Là, j’ai briefé le président guinéen Sekou Touré, qui a parlé pour la première fois de l’indépendance des Canaries. J’ai aussi fait la connaissance de Amilcar Cabral (Guinée Bissau) et Agostinho Neto (Angola) qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. Ils m’ont demandé si j’avais créé un mouvement et si j’avais un emblème. Ce fut un déclic. J’ai pris contact avec mes collègues canariens pour changer le MAC en MPAIAC et j’ai confectionné le drapeau aux sept étoiles. Le 22 octobre 1964, j’ai annoncé ces actes par un communiqué. Je ne vous cacherai pas que mes amis républicains espagnols ne m’ont pas compris, surtout quand je leur ai dit que le peuple Guanche des Canaries, berbère, a été colonisé par l’Espagne. Du coup, notre groupe a été mis sous surveillance par l’ambassade d’Espagne et a été infiltré par des éléments qui se faisaient passer pour des antifranquistes.

 

- Pour vous espionner ?

Bien sûr, l’un d’entre est le fameux Luis Manuel Gonzalez Mata. Il était venu à Alger avec quatre prostituées de Madrid qu’il présentait aux Algériens pour avoir des informations. Mata s’est rapproché de l’ambassade cubaine et avait lié d’étroites amitiés avec l’ambassadeur jusqu’à ouvrir à la rue Didouche Mourad, un bureau appelé Algérie-Cuba, que le même Mata dirigeait. Les Cubains ne savaient qu’il était aussi un agent du CIA ayant participé à l’attentat du dictateur Trujillo à Santo Domingo. D’ailleurs, une de ses parentes m’avait affirmé que Mata circulait avec un passeport qu’il avait volé à son frère, un antifranquiste. C’est Che Guevara qui l’a évincé du cercle cubain. Il y avait un autre espion, Enrique Ballester Gallego qui travaillait avec lui, un sinistre personnage ami de Felipe Gonzalez dont le père était consul d’Espagne à Annaba. Leur besogne était de s’informer sur toutes les activités des républicains espagnols en Algérie et du MPAIAC.

 

- Et que faisaient les Algériens ?

Les services secrets algériens les avaient à l’œil. Ils avaient détecté un émetteur qui transmettait des informations tous les soirs. Ils ont fini par les avoir, m’avait confié le responsable des services, Ali Ould Aoudia dit El Alemani. Ils ont été surpris en train d’émettre avec une antenne amovible placée sur le mur latéral à l’extérieur de l’ambassade britannique. Ils ont été arrêtés par la sécurité militaire. Ballester a été libéré après le coup d’Etat de juin 1965, suite à l’intervention de son père auprès de Boumediene et quelques temps après, Mata a été échangé avec l’Algérien qui avait assassiné Khider à Madrid.

 

- Comment a été perçue la création du MPAIAC par les autorités algériennes ?

C’était formidable. J’ai été franchement félicité. On m’a donné toutes les facilités pour mener ma propagande. J’ai bénéficié de billets d’avion pour tous les pays africains et plusieurs capitales. Ma voiture avait une plaque diplomatique. Avec cette aide, j’ai pu entrer à l’OUA, avoir une entrevue avec le secrétaire général Diallo Telli, et publier une déclaration solennelle où il est dit que les Iles Canaries ne font pas partie de l’Espagne mais de l’Afrique et que son peuple a droit à l’indépendance.

 

- C’est la raison pour laquelle vous avez été victime d’une tentative d’assassinat à Alger.

Oui, pour mes convictions politiques. C’était le 5 avril 1978. En arrivant au niveau de l’ascenseur de mon appartement, avenue de Pékin, je me suis retrouvé face à deux individus. Alors que je les saluais, l’un d’eux m’éventra avec un couteau de chasse sous-marine et me planta la lame dans le dos au niveau de la sixième vertèbre dorsale. Au moment où ils allaient me tuer, mon voisin Mahmoud Okbi est apparu et a commencé à crier. Je fus secouru par mon épouse, mes enfants ainsi qu’un Français, Bouterin. L’ambulance est arrivée très rapidement puisque ce jour, il n’y avait pas de circulation à cause du match Algérie-Hongrie. C’est le Dr Brixi qui m’a pris en charge. Très tôt, le lendemain, le commissaire de police Salah Vespa est venu me voir à l’hôpital et m’a demandé si j’avais reconnu mes agresseurs.

 

- L’enquête a-t-elle donné un résultat ?

Bien sûr. Quelques temps après, le commissaire me présenta 45 passeports d’Espagnols qui avaient passé la nuit dans les hôtels. J’ai reconnu un de mes agresseurs, qui furent arrêtés dans l’heure. Ils avouèrent avoir été recrutés par un certain Espinoza, membre du FLN en 1976 en tant qu’homme de confiance d’Alfonso Guerra et de Felipe Gonzalez du PSOE. C’est ainsi qu’il a été aidé par le colonel Hoffman. Un de mes agresseurs a été condamné à mort et l’autre à 20 ans de prison. Quand le président Chadli a succédé à Boumediene, la sentence de mort a été commuée en perpétuité. En ce qui me concerne, je suis resté une année à l’hôpital pour sortir handicapé à vie. Actuellement je me déplace avec des béquilles.

 

- Et vous avez raté un rendez-vous important…

Oui, malheureusement. Mon agression a été programmée pour m’empêcher d’aller le 10 avril 1978 à New York avec Etéki le secrétaire général de l’OUA pour assister à l’Assemblée générale des Nations-unies. On devait présenter le cas des Iles Canaries comme pays colonisé, décision approuvée par l’OUA au mois de mars à Tripoli, avec abstention du Maroc et de la Mauritanie. Suite à mon absence, il était logique que les Espagnols remportent la partie, puisque le cas des Canaries n’a pas été inscrit l’ordre du jour.

 

- Est-ce que vous continuez à suivre l’actualité algérienne ?

Et comment ! Cela fait des années que je lis chaque jour El Watan. Je récolte les informations intéressantes et je les envoie à mes compatriotes qui lisent en français et je fais de même pour certains journaux locaux canariens portés sur la situation de l’Afrique du Nord. Mais, je voudrais bien qu’il y ait de temps en temps des informations sur les Canaries !

 

- On a l’impression que vous êtes content d’être interviewé par un quotidien algérien.

Et comment ! C’est comme si je retrouvais mes amours de 20 ans…

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