Biographie de Bachir Amellah (par Kamal Bouamara)
Posté par coinlitteraire le 22 mars 2009
Biographie de Si l'Bachir Amellah
1861 - 1930.
(Par Kamal Bouamara). Histoire de L’Bachir Amellah. Aujourd’hui je vous propose de decouvrir Si L’Bachir Amellah poete comme Si Md U Mhand. Biographie de Si Lbachir Amellah (1861-1930) Par kamal Bouamara.
Fils de Tahar des Imellahen (Arezqi n Ïaher Amellaê) et de Hafsa (Ëafsåa n At Yexlef), Bachir naquit, selon les documents de l´état civil, au cours de l´année 1861[1] à Ichekkaben - l´un des trois villages composant la tribu des Imellahen, laquelle est, actuellement, située administrativement dans la commune de Feraoun - Daïra (arrondissement) d´Amizour, dans la Wilaya (Département) de Béjaïa (ex. Bougie ; Bgayet, en kabyle).
En tant que poète, il est connu sous le nom de Si Lbachir Amellah[2], mais dans l´état civil, il est inscrit sous le patronyme de : CHIBANE Lbachir. Si Lbachir est décédé, en imam de son village, Ichekkaben, le 26 décembre 1930. Après l´école locale où il a reçu, auprès de l´imam du village, Ichekkaben, les premiers rudiments d´une formation coranique, il alla parfaire ses études coraniques à la zaouia (= école coranique formant des imams) de Sidi-Saïd des Iénagen (actuelle commune de Semaoun, wilaya de Béjaïa ) - tribu limitrophe des Imellahen -, selon les uns et à la mosquée de Sidi Soufi de Bougie, selon d´autres. Quoi qu´il en fût, ces études l´avaient conduit plus tard à devenir imam d´un village. Appelé par les Kabyles “cheikh” (Ccix n taddart), l´étudiant est, après la fin de ses études, normalement sollicité par l´un des villages environnants. En acceptant d´y exercer sa fonction d´imam, il recevait en contrepartie des villageois ayant loué ses services tout ce dont une famille aurait besoin pour vivre décemment, c´est-à-dire un “salaire en nature”, (aqîiê, en kabyle) : d´abord, un toit puis tout ce qu´il lui fallait, à lui et à sa famille, comme nourriture, eau, bois de chauffe, vêtements, etc. C´est ce qu´il avait fait : il s´installa (icax, en kabyle), dit-on, dans l´un des hameaux composant la tribu des Imellahen même, selon certaines sources, jusqu´au jour où il constata que les villageois s´étaient montrés incapables d´honorer leurs engagements et ont manqué à leurs devoirs religieux. Cela s´est passé, bien entendu, après la révolte kabyle de 1871 contre l´ordre colonial. Après la révolte, suivie immédiatement de la défaite des Kabyles, le nouvel ordre établi avait mis en application le plan de destruction progressive des structures socio-économiques de la Kabylie et bouleversé sa hiérarchie des Valeurs au sein de laquelle un imam avait une place de choix et était hautement considéré. Ce jour fatidique : le jour de la double rupture, rupture avec les villageois et la fonction d´imam à la fois, nous a été décrit comme suit. Selon les témoignages de nos personnes-sources, ce fut un vendredi - jour de la grande prière (loamueÇa, en kabyle) ; il appela, comme il le faisait chaque vendredi, du haut de son minaret, les fidèles pour le rejoindre à l´intérieur de la mosquée. Mais, en vain ! Personne ne s´y présenta. Il a dû attendre, et attendre longuement, jusqu´à ce que l´un des fidèles vint l´informer de ce qui se passait dehors, sur la place du village. Les fidèles, lui racontait-il, étaient en train de scruter un riche étranger de passage au village, un cavalier élégamment vêtu. Alors, continuent nos personnes-sources, il se dirigea droit vers sa demeure pour prendre, en fait pour re-prendre, son grand tambour de basque qu´il a dû mettre de côté depuis longtemps ; en fait, depuis qu´il était devenu imam. Il avait pris la peine d´allumer un feu de bois pour chauffer son instrument, puis il sortit immédiatement sur la place publique où il était attendu. C´était la période des moissons-battages. Il donna un grand coup sur son instrument, pour attirer l´attention de son auditoire. Sur l´aire à battre, disait M.I. très naïvement, mais avec beaucoup d´enthousiasme, les boeufs même se sont immobilisés un instant - ainsi, pour nous rendre compte du climat d´émotion et de surprise qui y régna. Soudain, hommes, femmes et enfants se sont accourus pour écouter la voix du cheikh qui, cette fois-ci, allait chanter. Et c´est ce qu´il fit pendant un laps de temps. Il termina, en prononçant ces propos qui sont passés à la postérité : « C´est ce qui vous plaît donc, gens d´Imellahen ! », leur dit-il avec déception. C´est, dit-on, depuis ce jour-là qu´il a décidé de quitter le prêche religieux, pour aller pratiquer, jusqu´à un âge très avancé, le chant. C´est ainsi en tout cas que nos informateurs ont décrit la reconversion de Si Lbachir de la prédication religieuse vers la “prédication profane”. A-t-il suivi une quelconque formation pour devenir poète ? Si c´est bien le cas, quels ont été ses initiateurs ? A toutes ces questions, point de réponses précises. Cependant nos informateurs rapportent, de façon concordante, que pour devenir célèbre Si Lbachir a été béni par les saintes femmes d´Aït Ourtilan (Sut Wertilan) - très connues dans la région pour être des devineresses inspirées. A quel âge a-t-il été béni ? Là, les avis divergent. Cela s´est passé lorsqu´il était encore enfant, disait A.S. Ils marchèrent (son compagnon et lui-même) en chantonnant, poursuivait-il, jusqu´à ce qu´ils aperçurent un groupe de femmes, vieilles et jeunes, assises à l´ombre d´un arbre, au bord de la route. Par convenance, bien sûr, ils se sont tus. Mais ces femmes, elles, ont été émues par cette belle voix et mélodieuse. C´est pourquoi elles les ont pris à partie : elles les avaient exhortés ou plutôt autorisés à chanter. D´abord, ils refusèrent - ils avaient “honte”, disait-il. Lorsqu´elles insistèrent, elles n´ont pu alors convaincre que Si Lbachir (à cette époque, étant encore enfant, son nom n´était pas encore précédé de la particule Si, qui précédait les noms des marabouts et ceux des lettrés en arabe) ; l´autre préféra garder le silence, et il le garda pour longtemps, ajouta A.S. Car la malédiction s´abattit à l´instant même sur le compagnon de Si Lbachir : « Il perdit l´usage de la parole ! ». En revanche, Si Lbachir a été béni par ces saintes femmes et inspirées. D´autres personnes-sources, notamment M.I. et L.A., ont situé cet épisode à un âge beaucoup plus avancé. Voilà comment cela s´était passé, selon eux. Si Lbachir et son accompagnateur, Mouloud Ou-Ali-Ou-Mhand, étaient de passage par une fontaine pleine de ces saintes femmes de Aït Ourtilan. Certaines de ces femmes, qui ont dû identifier le poète, déjà connu à ce moment-là, avaient demandé à Si Lbachir et à son accompagnateur de leur chanter quelques unes le leurs chansons. Mais, étant timides et réservés, ils hésitèrent quelques instants. « Ils n´avaient pas honte seulement, disaient-ils, ils avaient eu peur aussi. » Par convenance, on ne chantait pas en effet devant les femmes, et a fortiori en pleine fontaine - endroit réservé exclusivement aux femmes. Ils risquaient, dans ce cas-ci, d´être par les hommes du village violemment agressés. Mais voilà : ces femmes, qui insistèrent encore, leur donnèrent en outre leur parole d´honneur qui leur garantirait la “vie sauve”. Après quoi, Si Lbachir seul, qui a pu être convaincu, a fini par accéder à leurs doléances. L´autre était resté bouche bée. Le reste de l´anecdote n´est pas différent de ce qui a été déjà rapporté. Ceux qui ont rapporté cette légende, terminaient en disant : A Si Lbachir, elles lui ont lancé cette déprécation : A k-yefk ÊRebbi leqraya tiîîubla ! (Puisse Dieu te prodiguer instruction et art de chanter !) Et à son accompagnateur, au contraire, l´imprécation que voici : A k-yefk ÊRebbi tiééit $ ta$ect-ik ! (ce qui veut dire implicitement : Puisse Dieu t´arracher l´usage de la parole !) Depuis ce jour, poursuivaient nos personnes-sources, Mouloud Ou-Ali-Ou-Mhand, le compagnon de Si Lbachir, devint muet ; en revanche, Si Lbachir n´avait pas cessé de gravir les échelons de la célébrité parce que sa source devint intarissable. Quelle est la part de vérité (des faits) qu´on pourrait extraire de cette légende ? D´abord, disons que des deux versions rapportées plus haut, la seconde est plus soutenable, parce quelle est “pleine de sens”. En effet, elle situe l´épisode de la bénédiction au moment où Si Lbachir était “en formation” ou, à tout le moins, sur scène. D´autre part, le nom de son compagnon de voyage correspond bien à l´un de ses accompagnateurs, le second plus précisément. Enfin, le lieu où s´est déroulé l´événement était non pas la route, mais au contraire la fontaine, c´est-à-dire un lieu fréquenté par les puiseuses d´eau et hanté par les génies (bienfaisants et malfaisants) qui, dit-on, prenaient souvent la forme humaine pour se manifester parmi nous. D´autre part, M.I. (le fils de cet accompagnateur) a fait le démenti suivant : « Mon père, disait-il, qui avait accompagné Si Lbachir pendant 22 années de suite, n´a pas du tout perdu l´usage de la parole ! » Comment concilier ce que rapportaient la légende et le témoignage de M.I., fils de cet accompagnateur qui “aurait perdu l´usage de la parole” ? Tentons cette explication. On sait que ces accompagnateurs étaient tous choisis sur le critère de la voix, d´abord et de la mémoire, ensuite. Sur la scène, la fonction de l´accompagnateur était en fait très minime, puisqu´elle consistait à répéter tout simplement ce que Si Lbachir a déjà dit ou entonné, mais à haute voix, pour que les auditeurs puissent tous entendre. Il est donc possible qu´on ait mal interprété le sens “vrai” de l´imprécation rapportée par la légende. Gageons d´abord qu´il s´agissait là d´une sorte de sanction punitive dont le but était de “destituer” Mouloud de son pouvoir-savoir de chanter, pour avoir commis une grave erreur dont on a omis de rapporter les termes exacts. C´était, en tout cas, l´une des meilleures façons de faire tomber quelqu´un en disgrâce. D´autre part, connaissant le caractère hyperbolique de toutes les légendes, il est possible aussi qu´on ait mal traduit le sens de l´expression Ak-yefk ÊRebbi tiééit $ ta$ect-ik ! Plutôt que de l’usage complet de la parole, ne s’est-il pas agi seulement de la perte de la voix, élément essentiel du chant ou pour pouvoir chanter ? Quoi qu’il en fût, nous savons que par la suite Si Lbachir avait pris un autre assistant répondant au nom de Mohand Ou-Kassa, lequel est remplacé à son tour par Si Mohand Saïd des Iberbachen.