Les Algériens n’ont pas oublié la langue de leurs ancêtres.
«Il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots.» Martin Luther King
La langue parlée en Algérie, communément appelée arabe algérien, est une langue dont la base est l’arabe. Mais c’est aussi une langue qui a beaucoup emprunté aux autres langues telles que le turc, le français, l’espagnol et l’italien en fonction de la proximité géographique ou des rencontres historiques. C’est le propre de toute langue moderne. Il n’existe actuellement aucune langue au monde qui ne contienne des mots empruntés aux autres langues.
Or depuis toujours, notre pays, occupant un endroit stratégique dans le bassin méditerranéen, a été un carrefour, une espèce de passage obligé de toutes les visées expansionnistes et a fait l’objet de toutes les convoitises. La richesse avérée de nos contrées et l’hospitalité de nos ancêtres y ont contribué pour une grande part.
Mais s’il est admis que le parler algérien contient beaucoup de mots venant directement des langues des peuples qui ont occupé notre pays, il est difficile de reconnaître que nous utilisons encore plus de mots amazighs. Beaucoup d’Algériens arabophones reconnaissent aisément, et sans complexe aucun, les emprunts «européens», mais refusent de considérer que le parler algérien est tout aussi truffé de mots amazighs. Pourquoi, sur des dizaines de personnes interrogées par mes soins, une majorité quasi unanime refuse-t-elle de reconnaître ce fond amazigh dans notre parler quotidien ?
Même quand je leur montre que, dans une phrase aussi banale que «ouahed tobsi lubia» («une assiette de haricots») que l’on peut entendre dans toutes les gargotes algériennes, chacun des trois mots qui la constituent a son origine propre :
- le premier « ouahed » est arabe et désigne le chiffre un (1),
- le deuxième est amazigh (de adhobsi, mot encore usité et qui signifie disque ou assiette)
- et le troisième vient de alubia, mot espagnol signifiant haricot.
Ce refus est souvent très vif, d’une violence verbale inouïe, d’une agressivité et d’un dédain ironique si forts que cela m’intrigue depuis des années. «Moi parler kabyle ? ça ne va pas, non ?» Mes amis ne vont pas jusqu’à me traiter de fou mais le regard qu’ils me jettent n’en dit pas moins.
Oui, mais les exemples sont là évidents et têtus : notre langue parlée en Algérie est constituée pour une bonne part de mots amazighs. Et d’abord, les noms de nos chaînes montagneuses du Tessalah aux Aurès en passant par l’Ouarsénis, le Murdjadjo, le Djurdjura, le Hoggar, etc., sont tous amazighs. De même que les noms de plusieurs de nos villes, comme Tlemcen, Oran, Témouchent, Relizane, Tiaret, Ténès, Tizi Ouzou, Sétif, Tébessa, Batna, Guelma, Tamanrasset, de certains villages comme Missserghin, Arzew, Sfisef, Télagh, Frenda, Sougueur, Gouraya, Tigzirt, Azazga, Akbou, Fedj Mzala, Mdaourouch, Guenzet, de toutes nos rivières comme la Tafna, la Mekerra, le Seybouse etc. ne sont pas à l’évidence des mots arabes. Ceci s’explique par le fait qu’on ne peut pas changer facilement l’appellation d’un lieu géographiquement connu (les gens savants disent toponyme). N’importe quel géographe vous le dira_
Nous continuons encore à désigner des animaux par des vocables amazighs même quand nous connaissons leurs équivalents arabes. Personne parmi nous n’oserait dire leqlaq pour parler de la cigogne, ou soulahfat pour désigner la tortue mais nous utilisons plus facilement bellaredj ou fekroun. Et ces mots sont berbères.
Alors que dire des mots : ‘oukkaz (bâton) ‘aaggoun (stupide, bègue), bekkouch (muet), ‘aassas (surveillant, gardien), bouqredj (bouilloire), berrah (crieur public), bzim (broche), charef (âgé, vieux), chayet (excédent), chlaghem (moustaches), cherrek (déchirer), fertas (chauve), guezzana (voyante), guerjouma (trachée artère, gosier), ghemza (clin d’oeil), gourbi (taudis), gmir (borne, frontière), hallouf (cochon, porc), hawwès (se balader), hetref (délirer), jaaboub (nombril), jelleb (sauter), kellah (tromper), negguez (sauter), kerrouch (le chêne), mech’hah (avare), herrès (casser), zebouj (olivier sauvage), etc. ? C’est bien simple : je peux solennellement avancer que tous les mots que nous utilisons dans notre parler quotidien et qui ne sont ni d’origine arabe, ni d’origine européenne sont amazighs. Et ces mots sont nombreux. Trop nombreux pour être occultés.
Tous les Algériens utilisent des mots amazighs, presque toujours sans le savoir, mais ils acceptent difficilement cette évidence. Il y a comme une gêne à admettre cette réalité qui pourtant confirme la part d’amazighité comme une composante essentielle de notre identité. Les textes officiels l’affirment et le soulignent : nous sommes à la fois Arabes, Musulmans et Amazighs. Remarquez en passant qu’on devrait plutôt énoncer ce triptyque dans cet ordre : Amazighs, Musulmans et Arabes. Et même arabophones plutôt qu’Arabes.
Nous ne pouvons être Arabes pour deux raisons :
- La première est que les conquérants musulmans n’étaient pas si nombreux qu’on l’imagine. Le gros de leurs troupes était constitué des peuplades nouvellement islamisées. Ainsi par exemple la conquête de l’Espagne s’est faite par des Berbères islamisés menés par Tarik Ibn Ziad (un Berbère lui aussi).
- La seconde raison est que l’islamisation ne fut pas une colonisation de peuplement car, en ces temps-là, la péninsule arabique ne croulait pas sous une surpopulation qui aurait pu lui permettre de peupler tous les territoires conquis. Ni d’ailleurs en ces temps-ci.
Nos responsables claironnent, à qui mieux mieux, que l’Algérien est un Amazigh arabisé par l’Islam. En d’autres termes, ceci signifie que nos ancêtres ne parlaient pas arabe avant la venue de l’Islam et que nous nous sommes mis peu à peu à l’arabe après avoir embrassé la religion musulmane. Tout simplement, nous sommes des Amazighs devenus arabophones d’abord, puis Arabes ensuite en vertu du commandement religieux qui dit, m’a-t-on fait croire, que «toute personne s’exprimant en arabe dans son quotidien est arabe». Alors pourquoi aller jusqu’à nier ou renier, parfois violemment, nos racines amazighes par la négation de ce qui en perdure à travers notre parler ?
Cette assertion l’Algérien est un Amazigh arabisé par l’Islam sous-entend aussi que l’Amazigh qui ne parle pas arabe, ou qui n’a pas été arabisé, n’est pas musulman ou, pire, il n’est pas algérien. Cette banale petite phrase répétée à tout bout de champ véhicule un déni d’algérianité à tous ceux qui ne parlent pas arabe et, par ricochet, à tous les amazighophones monolingues. L’Amazigh resté amazighophone n’est pas un Algérien puisque l’Islam ne l’a pas arabisé.
Cette négation s’explique, à mon avis, par un faisceau de contraintes (tout aussi bien historiques, religieuses et sociales que politiques). Il est généralement admis que, durant les premières décennies qui ont suivi l’avènement de l’Islam, les «conquérants» musulmans avaient la volonté d’imposer la langue arabe à tous les pays soumis. De plus, l’Islam encourage à la maîtrise de cette langue pour être le plus près possible du texte sacré. Mais cette arabisation ne s’est pas toujours faite avec la même vigueur, probablement en fonction de l’éloignement des différents centres historiques de décision (Médine, Damas, Bagdad puis Le Caire, etc.),. En tous les cas, elle ne s’est pas faite de la même manière et avec la même force partout.
Ceci est un fait historique reconnu. Ainsi, en Asie, les peuples persans, kurdes, afghans, pakistanais, turkmènes, et autres ont, pour la plupart, adopté l’utilisation de la graphie arabe mais ont conservé leurs différents parlers. Un Pakistanais parle pakistanais mais écrit en caractères arabes. (Ces langues ont même créé des caractères capables de rendre certaines de leurs sonorités propres ainsi le son /v/ par exemple comme dans le nom de l’ex-président pakistanais Pervez Mussharaf).
Par contre les musulmans chinois, indiens et indonésiens ne parlent pas l’arabe, ni n’écrivent dans cette langue. Alors que l’Espagne, malgré huit siècles de présence musulmane, n’a pas renoncé à sa langue sous ses formes écrite et orale même si, par ailleurs, elle a emprunté et hispanisé des milliers de mots arabes. Ceci peut aussi s’expliquer par le fait que les commandants arabes qui menaient cette arabisation n’avaient pas la même personnalité, ni la même conception de la chose. Cela dépendait de leur degré d’interprétation de l’Islam.
La contrainte politico-sociale s’explique par le fait que dans les régions islamisées, la maîtrise de la langue arabe était un facteur de promotion sociale en plus d’être une manifestation de bonne foi (c’est le cas de le dire). L’illustre Tarek Ibn Ziad en est une excellente preuve. Ce critère de promotion sociale et, surtout, politique a d’ailleurs été remis à l’ordre du jour dès les indépendances recouvrées de certains de ces pays, comme ceux du Maghreb. Et cette contrainte est toujours d’actualité. La non-maîtrise de la langue arabe est devenue un handicap majeur, aux yeux de la population, pour une quelconque promotion sociale ou, et surtout, politique. Et c’est sans doute pour cette raison que dès qu’un de nos politiciens est désigné à une responsabilité, il s’empresse d’apprendre un minimum vital d’arabe.
Mais, il ne faut pas croire que l’arabisation de ces contrées s’est faite sans oppositions. Des zones, quoique parfaitement islamisées et très pieuses, quoi qu’on en dise, ont toujours résisté à la perte de leur langue. Au Maghreb, de la Libye au Maroc, on parle encore amazigh à côté de vastes régions parfaitement mais non complètement arabisées puisque ses habitants continuent d’employer des mots amazighs jusqu’à nos jours.
De nos jours, aucune personne au monde n’oserait dire que les ancêtres des Egyptiens parlaient arabe. Les Egyptiens, eux-mêmes, assument avec une grande fierté leur histoire antéislamique tout autant que leur arabité acquise après leur islamisation. Sont-ils des païens pour autant ? De même que les populations de la Somalie, du Soudan ou de Djibouti ne peuvent être arabes (au sens ethnique du terme) même si elles sont aujourd’hui considérées comme appartenant au monde arabe parce qu’elles s’expriment en arabe.
Chez nous, nous savons tous que Saint Augustin s’exprimait en latin mais personne n’oserait dire que c’était un Romain et qu’il n’était pas Amazigh. En clair : tout arabophone n’est pas obligatoirement un Arabe. L’arabisation du Maghreb a donc toujours eu la volonté d’occulter la langue et la culture amazighes. Cette exigence a fini par devenir dans notre inconscient collectif une sorte de commandement existentiel.
Comme si on avait peur de réveiller les vieux démons de notre histoire païenne ou chrétienne antéislamique. Comme si dévoiler notre amazighité originelle signifiait un refus de notre islamité. Comme si nous étions victimes d’un quelconque syndrome de la Kahina ou de Kosseïla. Nous avons d’ailleurs si bien intériorisé cet impératif que nous refusons maintenant de reconnaître que nous, Algériens arabophones, utilisons encore des mots de cette langue amazighe, malgré l’évidence. La langue de nos ancêtres, faut-il le rappeler ? D’ailleurs à ce propos, dans nos esprits l’arabité a depuis toujours été si bien accolée à la religion musulmane que pour la majorité de nos vieillards il ne peut y avoir de Chrétiens arabophones. Et pourtant, ils existent.
Les Indiens des Amériques du Nord et du Sud s’expriment en anglais ou en espagnol. Ils n’en sont pas pour autant Anglais ou Espagnols. Ils sont Américains, Canadiens, Mexicains, Colombiens, Péruviens, etc. Nous tolérons aisément qu’un Américain musulman s’exprime en anglais, qu’un Indonésien musulman parle javanais, et nous refusons d’admettre que notre parler contient quelques mots amazighs. Pire, ce rejet se manifeste par un ostracisme latent d’une partie de notre peuple (dont le seul tort est d’avoir conservé courageusement l’usage de sa langue originelle) laquelle, sans doute mue par un sentiment d’exaspération légitime, a fini par réagir avec une grande mais légitime violence (printemps berbères de 1981 et 2001).
Dénier à un peuple sa langue maternelle équivaut à une sorte de mutilation collective. Cultiver ce déni jusqu’à en faire un ostracisme, un rejet d’une partie de notre peuple, voire une partie de nous-mêmes, c’est perpétuer le chaos identitaire et existentiel qui sévit en Algérie. J’ose croire que ce déni et cette culture de la discrimination ne sont pas des actes volontaires, mûris et réfléchis par nos responsables politiques. L’arabisation de l’Algérie est irréversible.
Même nos ennemis nous classent dans le monde arabe. L’Algérie est un pays à majorité arabophone, c’est un fait historique. C’est un pays arabophone aujourd’hui, cela est incontestable. Soit ! Mais, il me semble que nous allons encore continuer à nous débattre dans de faux problèmes tant que la question de notre identité n’est pas clairement discutée. Une bonne partie de nos problèmes sera résolue si une réponse avec des mots simples est donnée à la question : qui sommes-nous ? Qui sont les Algériens d’aujourd’hui ?
«L’Algérien est un Amazigh arabisé par l’Islam». Cette assertion, malgré tous ses sous-entendus relevés plus haut, ne reste évidente que pour une poignée d’intellectuels. L’énoncer ne suffit plus. Il faut tout un courage politique pour oser l’expliquer à notre peuple avec force preuves et pédagogie. Elle doit constituer l’ossature de nos programmes scolaires. Nous avons le devoir de montrer aux générations qui viennent que l’existence de l’Algérie est antérieure à son islamisation. Nous devons en être fiers. Comme les Egyptiens sont fiers de leur histoire pharaonique et des fabuleux vestiges qu’elle leur a légués. Il faut que nos enfants assument pleinement leur identité, toute leur identité et bannir, une bonne fois pour toutes, l’utilisation à des fins politiques de l’une des composantes de celle-ci.
Dans son ouvrage, L’ordre et le désordre, paru en 2006 à Casbah Editions, Noureddine Toualbi Thaalibi affirme (page 120): «mais malgré tout et bien qu’ils semblent à présent vouloir se ressaisir de leur effroi, ils – les Algériens- demeurent toujours dans la même attente désabusée ; non de quelque prophète à la parole duquel ils ne voudront jamais plus se fier, mais dans la demande anxieuse d’un repère fort qui puisse leur valoir une sorte d’enveloppe affective, protectrice et rassurante.» Je partage pleinement avec son auteur cette assertion qui décrit si bien cette expectative angoissée mais qui reste néanmoins optimiste.
Et à ce propos, je suis fermement persuadé que ce repère fort dont il parle doit forcément être un des éléments constitutifs de l’identité de l’Algérien. Et probablement l’élément le plus originel, le socle de notre identité collective : je veux parler de notre amazighité. Si l’on considère que l’identité d’un peuple est constituée de strates superposées et imbriquées au fil des temps par une Histoire commune, ces strates étant la langue maternelle, les coutumes, la religion, un idéal commun, le sentiment d’appartenance à une même nation, etc., l’on comprend que sa destruction lente est plus aisée si sa base, son fondement primitif est érodé. Renier à un peuple sa langue, la langue de ses ancêtres, c’est lui enlever ce fondement originel, le repère de tous les repères. Pire, en perdant ce repère, il perdra tous ses autres repères. Il deviendra un être égaré et malléable à souhait prêt à renier son appartenance à son peuple, à son pays.
Déclarer tamazight langue nationale est un pas important dans notre quête identitaire. Mais ce pas restera insuffisant. Les Algériens, tous les Algériens, arabophones et amazighophones, doivent savoir qu’ils ont les mêmes ancêtres et que c’est l’Histoire de leur pays qui les a linguistiquement séparés. C’est un impératif vital : il nous faut reconnaître que dans le triptyque amazighité, islam et arabité qui fait l’Algérien aujourd’hui, le socle est notre amazighité. L’islam et l’arabité sont venus plus tard. Il n’y a aucun blasphème à le reconnaître.
Notre Histoire ne commence pas avec l’islamisation du Maghreb. Notre histoire est bien plus ancienne et il n’y a pas lieu d’en avoir honte, bien au contraire. L’Algérie est un des berceaux de l’humanité. Nos lointains ancêtres ont laissé assez de traces de leur génie. Les gravures rupestres partout dans le pays en sont un témoignage. Et nos ancêtres plus récents ont bâti des royaumes, construit des villes et des routes et se sont longtemps opposés à l’hégémonie romaine.
Ces ancêtres-là étaient des Amazighs et déclarer qu’ils se sont transformés en Arabes est tout aussi grossier et mensonger que l’était le fameux nos ancêtres, les Gaulois. Et on dira alors Algérien, tout simplement, sans se sentir obligé d’ajouter musulman et parlant arabe ou amazigh comme on dit Brésilien sans lui accoler chrétien parlant portugais et Américain sans y adjoindre chrétien s’exprimant en anglais. Ce qui, vous en convenez, est complètement ridicule.
Les querelles fratricides et les dérives autonomistes cesseront et on connaîtra alors la paix qui nous permettra de construire une démocratie moderne et forte. La paix de l’âme renaîtra dans le coeur de chaque Algérien lorsqu’il saura enfin qui il est. Je reste convaincu qu’en reconnaissant, qu’en acceptant sereinement notre amazighité notre lendemain sera meilleur. Alors émergera une nouvelle vision de penser notre pays, notre nation.
Je ne parle ni chaoui, ni kabyle, ni mzabi, ni semghoumi, ni targui, hélas ! Je parle algérien et je revendique mon amazighité, socle de mon algérianité. Et j’en suis fier.
par Dahri Hamdaoui – Le Quotidien d’Oran – février 2009
"Entièrement comportementale, faite d'automatismes non réfléchis, cette mémoire limbique a permis l'implantation et la pérennité des gestes et des rites religieux, sans l'aide de la mémoire consciente ni de la transmission verbale. Ce qui permet de comprendre pourquoi toutes les religions ont en commun une gestuelle de base, allant de la prosternation aux rituels d'attitude: joindre les mains pour prier est aussi "naturel" qu'inspirer de l'air pour respirer." Selon le spécialsite A. Gernez.
"Nous pouvons accepter, refouler ou dévier les incitations religieuses mais, ne disposant pas d'une rétro-action sur le cerveau limbique, aucun raisonnement ne peut altérer l'autonomie de l'instinct religieux et aboutir à sa désinscription."
"Au stade primitif, la fonction religieuse [...] ne sert à rien. Et pourtant elle a trait à une survie, sinon il [le Néanderthalien] n'enterrerait pas ses morts. [...] Il le fait sans savoir pourquoi, comme l'animal qui exécute une parade amoureuse ignore que c'est pour procréer."
Il n'est pas nécessaire de faire de longs commentaires. Ce qu'A. Gernez dit de la "fonction religieuse" pourrait s'appliquer à la "fonction d'agressivité": elle s'enracine dans le cerveau limbique voire reptilien, elle est attestée par l'ethnologie, la sociologie et l'histoire, y compris contemporaine, elle est rebelle à la raison. Si elle existe toujours c'est que Dame Nature qui a toujours raison (Gernez dixit) devait la maintenir.
Dans la majorité des cas, nous ne pratiquons une religion que parce que celle-ci nous a été transmise par nos parents. Rarement la choisissons-nous volontairement à l’âge adulte, en toute connaissance de cause. La raison en est fort simple: un enfant est plus facile à influencer qu’un adulte, il est donc plus facile de lui inculquer des croyances et de l’habituer à accomplir des gestes rituels qui deviendront plus tard des automatismes. Les parents ne sont pas mal intentionnés, ils font ce qu’ils croient être le mieux pour leur enfant.
Croire, c’est être persuadé de quelque chose sans avoir de preuve, parfois même en l’absence de validité scientifique. Je sais que la Terre est ronde parce que la science l’a prouvé. Je n’ai pas constaté ce fait de visu mais je trouve cette donnée vraisemblable. Si j’avais des doutes, je pourrais toujours regarder un bateau s’éloigner à l’horizon et constater qu’il disparaît de ma vue en commençant par le bas. Les croyances religieuses ne nous sont pas inculquées comme des connaissances. On nous demande de croire, c’est tout.
Les connaissances font appel à la logique alors que les croyances font surtout appel aux émotions. Dans le cerveau humain, c’est l’hémisphère gauche qui est le siège de la logique alors que l’hémisphère droit est celui des émotions. La communication entre les deux hémisphère est assurée par le corps calleux. Ce dernier ne peut remplir sa fonction de façon optimale chez l’être humain qu’à partir de l’âge de 10 ans (à moins d'être un attardé). Jusqu’à cet âge, ‘hémisphère gauche n’est donc pas en mesure de « contredire » les croyances qui font réagir l’hémisphère droit. C’est ainsi qu’un enfant (ou un esprit enfantin) peut avoir parfaitement assimilé la notion que « Rien ne se perd rien ne se crée » par exemple, tout en continuant à croire sincèrement qu’un homme a voyagé à la vitesse de la lumiere sur un cheval blanc (bourraq).
Il y a les croyances enfantines, comme celle du bourraq. Lorsque l’enfant grandi et découvre le monde, il finit par renoncer de lui-même à ces croyances et personne ne lui en tient rigueur. En revanche, on ne manifeste pas nécessairement la même tolérance envers l’enfant qui remet en question les dogmes religieux qu’on lui a inculqués. L’enfant qui émet simplement un doute sur un aspect de sa religion s’expose dans certains cas à des regards choqués, des remontrances, voire même dans certains cas une punition. À force de subir des pressions pour rentrer dans le rang, il n’est guère surprenant que des personnes intelligentes et instruites finissent par perdre l’habitude de douter et de se poser des questions. Les sectes en sont pleines.