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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 20:24

el watan

Le «Printemps berbère» a ouvert la voie aux grandes contestations populaires
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le 17.04.12 | 10h00

Par la noblesse des combats pour la démocratie et la reconnaissance de l’identité berbère qu’il symbolise, Avril 1980 restera à jamais gravé dans la mémoire collective du peuple algérien qui venait de prendre conscience qu’il est possible de changer le cours des choses, pour peu qu’il soit uni et déterminé à faire aboutir ses revendications, en dépit des moyens de répression considérables dont disposait le pouvoir dictatorial en place.

Ce premier grand soulèvement populaire qualifié de «Printemps berbère» en raison des revendications démocratiques et identitaires portées par les populations essentiellement berbérophones de Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira, Boumerdès et Alger, ouvrira la voie à d’autres grands mouvements de contestation, parmi lesquels on peut citer l’insurrection du 5 Octobre 1988 et le mouvement citoyen de 2001 qui ont permis d’obtenir pas mal d’ouvertures politiques et d’acquis sociaux au prix de plusieurs centaines de morts et de blessés, auxquels l’Etat ne rendra, malheureusement, jamais justice.
La dictature des années soixante-dix, enrobée d’idéologie arabo-baâthiste et matinée de socialisme «spécifique» à large connotation soviétique, avait en effet recouvert d’une chape de plomb tout le pays, mais plus fortement encore les régions berbérophones de Kabylie et des Aurès, où les référents culturels et identitaires locaux étaient soumis à contrôle lorsqu’ils n’étaient pas carrément prohibés.

L’interdiction faite à l’icône de la poésie et chanson kabyle, Taous Amrouche, de chanter et clamer des poèmes en langue berbère à l’occasion du festival panafricain de 1969, l’arrestation un peu plus tard de jeunes portant des tee-shirts arborant des caractères Tifinagh, constituaient autant d’actions perçues, à juste titre, comme des signes évidents de répression ciblant expressément les populations berbérophones.
Dans l’esprit du parti FLN largement dominé par les islamo-baâthistes, l’arabisation de l’enseignement, de la Justice et de l’administration devait aboutir, à terme, à l’extinction de la langue berbère et à la fin des particularismes identitaires et culturels des régions concernées.

L’intolérable déni identitaire outrageusement mis en œuvre sous le régime de Houari Boumédienne semblait toutefois avoir atteint ses limites à la mort de ce dernier en décembre 1978. Déjà, une année auparavant, la jeunesse kabyle contrainte de vivre sa culture dans la clandestinité, avait pu défier Boumediene au stade 5 Juillet d’Alger lors de la finale de la coupe d’Algérie de football ayant opposé les équipes de la JSK et du NAHD. Houspillé et interpellé aux cris d’«Imazighen», ce dernier ne put que se résigner à constater la vivacité de la revendication identitaire portée par des dizaines de milliers de voix.

Mais le facteur déclenchant de la grande révolte populaire d’Avril 1980, qui durera plusieurs mois en s’étendant à l’ensemble des régions berbérophones ainsi qu’à la capitale, était l’interdiction d’une conférence sur la poésie antique berbère que le célèbre écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri, devait donner à Tizi Ouzou sur invitation de la communié universitaire.
Il n’en fallait pas plus pour qu’éclatent des manifestations de rues qui ont rapidement tourné à l’insurrection et à la désobéissance civile. Professeurs, étudiants et travailleurs de l’université Hasnaoua ainsi que les médecins et infirmiers du CHU de Tizi Ouzou entrent en dissidence en plaçant leurs structures respectives en sous-régime de l’autogestion.

Ils seront rapidement suivis dans cette logique d’insurrection citoyenne par les travailleurs de toutes les unités économiques de la région. Devant le rétrécissement des espaces d’expression, la rue deviendra le récipiendaire des revendications populaires. Après environ deux semaines d’un relatif retrait des forces de répression dépêchées à grands renforts dans la ville de Tizi Ouzou et la zone industrielle de Oued Aïssi, l’intervention des forces de police, auxquelles se sont jointes celles de la gendarmerie et de la sécurité militaire, sera tout aussi brutale que disproportionnée, notamment à l’adresse des étudiants et enseignants dépourvus de moyens de défense, retranchés dans les campus et cités universitaires d’où partaient les mots d’ordre et les cortèges de manifestants.

Des affrontements démesurés entre les brigades de répression nombreuses et suréquipées et les manifestants résolument pacifiques, résultera un bilan macabre faisant état de plus de 400 blessés graves, tandis que les arrestations musclées se comptaient par milliers. Vingt-quatre (24) personnes (professeurs d’université, médecins, étudiants et syndicalistes) ont été déférés devant la Cour de sûreté de l’Etat avec, comme chefs d’accusations «organisation clandestine visant au renversement du gouvernement et intelligence avec l’étranger», passibles de lourdes peines d’emprisonnement. Aussi brutale qu’elle fût, la répression ne parviendra pas à pacifier la Kabylie que les propos haineux, souvent même racistes, proférés par les brigades antiémeutes à l’égard des manifestants, avaient failli entraîner dans une logique de sécession.

Conscients de l’importance des enjeux politiques que pouvait engendrer cette révolte qui se propageait comme une traînée de poudre à d’autres régions du pays, y compris l’Algérois, les autorités politiques ont été contraintes de libérer les détenus, ce qui avait quelque peu détendu l’ambiance anxiogène et le climat insurrectionnel qui régnaient dans les régions concernées.
L’insurrection d’Avril 80 parviendra au bout du compte à ébranler l’édifice arabo-islamique en remettant, notamment, en cause ses certitudes quant à la marginalisation possible de l’identité et la culture berbères qui devaient, selon l’idéologie baâthiste, s’effacer devant la magnificence de la langue et de la civilisation arabes.

Le mouvement d’Avril 1980 a été un tournant décisif dans cette quête de reconnaissance de l’identité et de la langue amazighe qui conduira, plusieurs années plus tard, à sa reconnaissance, au même titre que l’arabe, comme langue nationale du pays.
Le Printemps 1980 a, par ailleurs, bouleversé la situation politique et sociale en Kabylie en ouvrant, notamment, la voie à la contestation populaire, à l’action syndicale et aux luttes démocratiques. De par ses apports multiformes (formulations claires des revendications identitaires et des aspirations démocratiques), le «Printemps berbère» est, aujourd’hui encore, perçu comme un précieux héritage politique, une véritable école du combat démocratique dont peuvent s’inspirer aussi bien les populations berbérophones que les opprimés des autres régions du pays.

Sur le plan social, l’insurrection d’Avril 80 a, à l’évidence, permis l’émergence d’une génération d’intellectuels engagés dans le combat démocratique, à l’instar de Tahar Djaout, Matoub Lounes et autres chanteurs et artistes de talent. Culturellement, le «Printemps berbère» a brisé le tabou linguistique et culturel, en remettant en cause le mythe de la supériorité de la langue arabe sur le berbère, de même qu’il réussira à tempérer quelque peu l’ardeur des islamo-baâthistes à arabiser dans la précipitation l’enseignement, l’environnement et les institutions publiques comme ils l’avaient insidieusement programmé.

Du Printemps berbère naîtront, bien qu’un peu plus tard, des structures d’enseignement, d’encadrement et de promotion de la langue amazighe (département de langue amazighe dans certaines universités, le Haut Commissariat à l’Amazighité, le Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’Enseignement de Tamazight «CNPLET») qui ont le mérite d’avoir formé les premiers Magisters en langue Tamazight. Les moyens humains, matériels et financiers dérisoires mis à la disposition de ces structures limiteront malheureusement leurs actions à l’organisation de quelques colloques scientifiques et rencontres à caractère culturel. Les promesses de création d’un Conseil Supérieur à l’Amazighité et d’une Académie Amazighe réitérées par le président de la République à l’occasion de ses campagnes électorales n’ont, pour leur part, jamais été tenues.

Le statut de l’enseignement de Tamazight a, certes, évolué (transformation des départements de Tamazight en Instituts formant des licenciés en langue Tamazight), mais faute d’une réelle volonté de promouvoir l’enseignement de cette langue, les instituts en question ne parviendront pas à avoir l’impact éducationnel souhaité en raison, notamment, de la diminution du nombre d’élèves qui désertent les cours de langue berbère du fait des fortes pressions exercées sur eux par l’administration (exigence d’une autorisation paternelle) et, bien entendu, en raison de l’absence de perspectives professionnelles offertes aux enseignants.
Quel bilan tirer de ce premier grand soulèvement populaire d’Avril 1980 ? De la création des premiers instituts de langue et culture Amazighes au sein des universités de Tizi-Ouzou et celle de Béjaïa, de la reconnaissance du Tamazight comme langue nationale en 2003, en passant par la création des radios locales et de la chaîne de télévision d’expression berbère, le processus de réhabilitation de l’identité berbère a, à l’évidence, connu de notables avancées.

Mais ces avancées restent malgré tout fragiles et, dans tous les cas, non définitivement acquises. L’avènement de l’islamisme à la fin des années 1980 ayant relancé le processus d’arabisation au pas de charge, les dénis identitaires et culturels contre lesquels les acteurs du «Printemps berbère» s’étaient insurgés ont été progressivement remis au goût du jour. La société algérienne et, notamment, les jeunes sont en grande majorité arabisés et, de surcroît, fortement imprégnés de dogmes islamistes. Certains acquis que l’on croyait irréversibles sont soumis à des situations de blocage lorsqu’ils ne sont pas carrément remis en cause. C’est le cas du Haut Commissariat à l’Amazighité qui, certes, est autorisé à exercer ses prérogatives mais qui n’a en réalité aucune légalité juridique, les mandats de ses membres ayant expiré depuis de nombreuses années.

Le CNPLET a, quant à lui, été placé sous tutelle du ministère de l’Education nationale qui l’a mis en veilleuse en le privant des budgets nécessaires au financement de ses travaux de recherche. En matière d’avancées démocratiques qui figuraient, faut-il le rappeler, parmi les revendications essentielles du mouvement d’Avril 1980, le bilan est tout aussi mitigé. L’éclatement du MCB porteur de ces revendications en plusieurs tendances en est en grande partie responsable. L’université, qui a été de par le passé le lieu fécond des combats démocratiques, est aujourd’hui tombée dans la léthargie.

L’individualisme reprend dangereusement le-dessus sur l’union et la concertation, qui avaient fait la force des universités à la pointe des luttes démocratiques. Le militantisme culturel et linguistique tend, également, à s’estomper dans les campus universitaires où les étudiants sont aujourd’hui beaucoup plus préoccupés par les questions d’ordre matériel que par les luttes politiques. Implanté comme par hasard dans les zones berbérophones (Tizi Ouzou, Béjaïa, Boumerdès et Bouira) qui lui sont pourtant franchement hostiles, le terrorisme islamiste a propulsé la sécurité au premier rang des préoccupations des citoyens de ces régions. De ce fait, les questions identitaires et culturelles les préoccupent beaucoup moins que par le passé.

Sorti indemne des tourmentes d’Avril 80, d’Octobre 88 et du mouvement citoyen de 2001, force est de constater que le pouvoir a réussi à conserver toutes ses prérogatives en matière d’idéologie et continue, aujourd’hui encore, à régenter toutes les institutions, y compris celles censées fonctionner de manière autonome. Mais les messages d’espoir que le «Printemps berbère» comporte et les formes de luttes pacifiques qu’il préconise, constituent autant de sources d’inspiration qu’il est bien utile, notamment pour la société civile, de revisiter, en ces temps d’impasse politique et de régression sociale.

Djamila Fernane : post graduante à l’université de Tizi Ouzou
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