Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 21:13

source: Le Jour d'Algérie 30/05/2009

Khaoula Taleb Ibrahimi aborde le problème linguistique en Algérie

«Nous devons nous libérer de l’idéologisation de la langue»

Linguiste et professeur à l’université d’Alger, Khaoula Taleb Ibrahimi pense que l’on devrait dépasser les prises de positions politiques pour résoudre nos questions linguistiques.

Avant d’aborder le sujet, Khaoula Taleb Ibrahimi insiste : «Je participe à ce débat d’abord en tant que citoyenne concernée par la question. Je ne crois pas à la recherche universitaire enfermée sur elle-même. S’ouvrir aux citoyens permet d’enrichir la polémique». Ses mots sont mesurés et son intervention est précise, pas de fausse note ou d’écart.  «En Algérie, la question linguistique a toujours été politisée alors qu’elle touche à l’identité nationale et à l’histoire du pays ! Aujourd’hui, si l’on veut résoudre le problème, nous devons nous libérer de l’idéologisation», dit-elle. Pas aussi facile si l’on sait, par exemple, que la revendication amazighe a été sans cesse la préoccupation de certains partis politiques seulement qui ont fait de l’ombre aux associations apolitiques. Revenant en arrière, la linguiste rappelle qu’en 1949 le PPA (Parti du peuple algérien) a  été le premier à soulever la question de la «pluralité linguistique» et à exiger la reconnaissance, à l’époque déjà, de la dimension amazighe dans la culture algérienne. «Cette revendication a été très vite violemment rejetée, les politiques craignaient la discorde et la division». Depuis, aucun autre parti national n’a osé relancer la polémique. La libération du pays n’y a rien changé. «La classe politique de l’Algérie indépendante n’a pas eu le courage et l’intelligence de revendiquer une Algérie plurielle et unie. Et j’assume ce que je dis. Ces politiciens n’ont jamais posé la problématique du vivre ensemble : Nous sommes tous Algériens mais différents». Pour étayer ses dires, Khaoula Taleb Ibrahimi reprend les mots du premier président algérien Ben Bella qui, en 1962, avait dit dans l’un de ses discours adressé à la nation : «Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes». Elle estime qu’il faudrait revoir, aujourd’hui, cette identité confectionnée sous le parti unique et qui n’a pu être contestée que vers les années 1980.  L’oratrice soutient encore qu’en Algérie, on n’est pas en face d’un problème racial mais plutôt d’un problème culturel et politique. «La revendication linguistique doit être liée à la revendication démocratique. Ainsi, la pluralité linguistique et culturelle algérienne sera reconnue».

La langue et l’histoire

Plus loin, la spécialiste fait remarquer que l’on ne pourrait pas comprendre l’espace linguistique algérien sans revenir à l’histoire de la région de l’Afrique du Nord qui a vu le brassage de nombreuses populations, entre autres berbère (autochtones), vandale, romaine et ensuite arabe, turque et française. Des faits qui attestent de la pluralité de l’Algérie. «C’est une réalité que nous devons accepter et reconnaître. Il est bizarre d’entendre encore des gens contester cet héritage historique !» soutient-elle. Plutôt que de s’occuper de broutilles, Khaoula Taleb Ibrahimi pense qu’aujourd’hui, on devrait s’interroger comment seules l’amazighe et l’arabe ont dépassé le temps et l’espace pour parvenir jusqu’à nous. 

Une élite divisée

Khaoula Taleb Ibrahimi aborde la division de l’élite algérienne qui a reçu une «formation historique», partagée entre l’arabe et le français. Elle résume le conflit en deux mots : Les défenseurs de l’arabe ou du français ont, tous les deux, des intérêts à protéger. «Je suis une parfaite bilingue et mes collègues me le reprochent. Ils veulent coûte que coûte  m’obliger à choisir un camp ! Pourquoi ? Est-ce un problème de travailler avec deux langues ? Parler le français ne veut pas dire qu’on fait partie du hizb frança (le parti de la France)». L’intervenante relève avec satisfaction que la nouvelle génération n’a aucun complexe et ne se sent pas impliquée dans cette «guerre» linguistique. «Dans leurs recherches, mes étudiants ne veulent pas s’arrêter à une seule langue. Ils me disent souvent qu’ils veulent apprendre, en arabe ou en français. Peu importe!» 

Paradoxes algériens

En Algérie, explique la spécialiste, il existe plusieurs espaces linguistiques divisés : Ecole, maison, université, travail, la rue… Cela change également par rapport à la région habitée (Kabylie, M’zab, Oranie, Sud, Jijel…). Le pays se retrouve partagé entre plusieurs parlers ; les institutions de l’enseignement ou de la Fonction publique sont souvent divisées entre l’arabe et le français. Elle énumère quelques difficultés qu’une telle situation entraîne. Beaucoup de nouveaux diplômés sont déstabilisés : l’arabe est la langue des études scolaires et universitaires. Toutefois, le français reste la langue du marché du travail. Les textes de loi et même ceux de la Constitution sont écrits en français. Des problèmes se posent au niveau de l’application car il y a des concepts et des termes techniques qu’il faudrait traduire. Des étudiants brillants qui ont suivi une scolarisation en arabe, ayant obtenu leur baccalauréat avec les meilleures moyennes, ne peuvent souvent s’inscrire en faculté de médecine où l’enseignement est dispensé en français uniquement. «C’est une grande perte», déplore-t-elle. Le même problème se pose dans la vie pratique, surtout pour les enfants. L’intervenante cite l’exemple d’un élève de six ans qui, avant de répondre à une question, avait demandé : «Est-ce que je réponds dans la langue de la maîtresse (chikha) ou dans celle parlée par ma mère à la maison ?» Tiré d’un sujet de recherche mené par une collègue, l’oratrice affirme que ce «bilinguisme» particulier perturbe l’épanouissement et le développement psychologique de l’enfant.   

Idées reçues sur l’arabe

Pour notre linguiste, il devient impératif aujourd’hui de faire sortir la langue arabe du moule traditionaliste dans lequel elle est emprisonnée depuis toujours. «Beaucoup de mes collègues croient que l’arabe est la langue de la littérature, de la poésie, de la religion (Coran), du sacré et des valeurs morales ! D’autres affirment qu’elle est pure et qu’elle s’auto-suffit. C’est faux ! L’arabe est une langue vivante qui interagit avec la société, l’environnement et les autres langues». Dans ce sens, Khaoula Taleb Ibrahimi insiste sur l’importance du rôle que peuvent assumer l’école, les mass médias et les intellectuels. Les intellectuels peuvent faire progresser la langue en abordant, dans leur travail, des sujets nouveaux et actuels. L’école doit disposer de moyens développés pour assurer un meilleur enseignement de la langue. «Notre école dispense un enseignement avec des moyens traditionnels», précise-t-elle. En conclusion, la professeure de l’Université d’Alger, explique que si la problématique linguistique perdure en Algérie c’est tout simplement parce que, de 1962 à  ce jour, les questions relatives à l’identité, l’histoire et à la nation n’ont jamais été tranchées et réglées.

Par Irane Belkhedim

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
I am an Algerian teacher of English who works on the linguistic phenomena among educated speakers in the Algerian speech community.Tlemcen a case study.
Répondre
B
auriez vous la gentillesse de me transmettre l'adresse electronique de Mme Khaoula Taleb Ibrahimi .Merci
Répondre
L
<br /> Et l'arabe maternel dans tout ça, n'a-t-il pas sa place dans la réconciliation entre les élites francophones et arabophones?Que pensez vous des experiences des pays africains qui ont opté pour des<br /> langues maternelles langues d'instuction.Notre imaginaire n'est pas véhiculé par l'arabe classique mais par l'arabe de tous les jours et cet imaginaire ne peut évoluer que si la langue qui le<br /> véhicule est introduite dans le meilleur circuit émancipateur de l'homme; l'école.<br /> <br /> <br />
Répondre
I
<br /> entièrement d'accord avec vous ! Je suis pour à 1000%<br /> <br /> <br />

Présentation

  • : La confédération des Iflisen Umellil
  • : Un des objectifs est de reconstituer la grande confédération qui regroupait les 14 aarchs des Iflisen Umellil avant la colonisation française. Le but est de rétablir les liens interrompus et de promouvoir la solidarité inter-arche. Nous visons également à consolider les liens entre la diaspora et leur région d'origine. Réecrire l'histoire des Iflisen et préserver leur patrimoine matériel et immatériel .
  • Contact

Recherche

Liens